Les dessous de la crise qatarie.
Par Chérif AMIR
Le 5 juin 2017, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn et l’Egypte ont décidé de rompre leurs relations diplomatiques avec le Qatar. En application des codes de la diplomatie, tous les ambassadeurs de Doha basés dans les quatre capitales ont été déclarés persona non-grata et devaient quitter Riyad, Abu-Dhabi, Manama et Le Caire dans l’espace de quarante-huit heures. Cette rupture des relations a été rapidement suivie par un embargo terrestre, aérien et maritime, empêchant le Qatar d’accéder à l’espace aérien et aux ports maritimes des quatre pays. L’autoroute reliant l’îlot à la péninsule d’Arabie via l’Arabie Saoudite a également été fermée. Un seul accès a été autorisé avec le Koweït et le Sultanat d’Oman.
La raison apparente qui expliquerait cette campagne anti-Qatar tiendrait au fait que le jeune souverain Cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani a provoqué la colère de ses jeunes homologues, le Prince-héritier saoudien Mohamed Ben Salman et le Prince émirati Mohamed Ben Zayed Al Nahyan. Le conflit a éclaté lorsque l’agence de presse officielle du Qatar a diffusé le 24 mai 2017 une déclaration de l’émir de Doha critiquant la politique menée par l’Arabie Saoudite et le reste des pays du Golfe contre l’Iran. Il aurait ajouté que, à l’inverse, l’établissement des relations basées sur l’entente cordiale avec Téhéran serait bénéfique à la sécurité de la région et surtout à celle des pays du Golfe. Cette déclaration, démentie catégoriquement par le Qatar qui évoque un acte de piratage électronique, a été considérée comme une insulte au leadership du –De facto- souverain de l’Arabie Saoudite Mohamed Ben Salman (MBS). L’arme médiatique des quatre pays assiégeant le Qatar a été déployée pour expliquer et justifier la décision d’isolement de l’île du Qatar. L’accusation principale était le financement et la fourniture d’abris pour les groupes terroristes dont le mouvement des Frères musulmans, l’organisation-mère du terrorisme islamiste.
Certes, ces accusations à l’encontre de la dynastie Al-Thani du Qatar ne fut pas une surprise pour tous les observateurs des événements tragiques et sanglants qui ont bouleversé le Moyen-Orient depuis 2011, durant les révoltes qui ont scandé les « Printemps Arabes ».
Par contre, au moment où cet embargo a pris de l’ampleur, les trois pays du Golfe et l’Egypte ne s’attendaient pas à une réaction ferme et défiante de ce petit îlot situé dans le Golfe Persique. Rapidement, Doha a créé un nouveau front et des alliances contre ses adversaires.
Les incalculables développements géopolitiques.
La guerre en Syrie est en train de s’achever avec un résultat remarquable : La survie du Président syrien Bachar El-Assad et de son régime grâce à l’intervention militaire russe contre les groupes islamistes terroristes sponsorisés par l’Arabie Saoudite, la Turquie et le Qatar. La défaite inattendue de ce trio, soutien du terrorisme, a inauguré au Moyen-Orient une phase de suspens jamais vue depuis les accords de Sykes- Pickot de 1916.
Un autre facteur a accentué les pertes des Etats sponsors du terrorisme, c’est la stratégie du Président américain à l’égard de la région. Donald Trump était clair sur les bases de ses relations avec les riches pays du Golfe et spécialement avec l’Arabie Saoudite. La théorie de Trump est simple et repose exclusivement sur l’argent: {Si vous ne payez pas les montants appropriés à la protection que nous vous fournissons, vous n’en bénéficierez plus sous mon administration…}. Les Saoudiens ont réalisé que les règles du jeu ont changé drastiquement, non seulement ailleurs mais aussi au sein de leurs palais. Le nouveau Prince-héritier de la dynastie Al Saoud, le jeune Mohamed Ben Salman (31 ans), qui cumule aussi le poste du ministre de la Défense et commandant en chef de la coalition arabe dans la désastreuse guerre de Yémen, cherche à tout prix à sécuriser sa place en tant que prochain monarque du riche royaume pétrolier. La défaite de la stratégie saoudienne en Syrie, ainsi que la guerre de Yémen qui s’est avérée un véritable fiasco, ont rendu le jeune Prince plus machiavélique que jamais.
MBS a un caractère aigu, il sait que des boucs-émissaires devront être sacrifiés avant l’avènement du « jour du jugement » géopolitique qui brusquera le Moyen-Orient et changera drastiquement cette région une fois que le conflit syrien serait résolu d’une façon ou d’une autre. Les boucs-émissaires au-sein de la dynastie Al Saoud ont été calmement sacrifiés pour sécuriser l’ascension attendue du jeune Prince. En revanche, au niveau régional, il y a eu trop dégâts causés par Riyad et Doha tandis que le moment du « grand ménage » s’approche.
De son côté, le Qatar fut le « bon disciple » des Saoudiens. Le minuscule îlot a adopté l’idéologie wahhabite du royaume, a généreusement financé toutes les factions terroristes islamistes et a instrumentalisé la chaîne Al Jazeera pour en faire une machine de propagande en faveur de l’Etat Islamique (Daech), des Frères Musulmans et du Hamas contre les dirigeants de l’Egypte et la Syrie.
Maintenant, que ce camp a perdu la guerre en Syrie et n’est pas arrivé à ses fins au Yémen, les Saoudiens devaient faire payer quelqu’un pour cette pagaille et lui faire porter le fardeau du sponsor du terrorisme islamiste. Comme dans un cartel de drogue où, pour échapper à un danger on sacrifie le petit « gangster » -le Qatar- paie pour les crimes de son « boss » -l’Arabie Saoudite-, ce qui ne signifie pas toutefois que le petit « gangster » soit innocent ou moins criminel que le « Godfather », mais il est le petit, le maillon faible du « gang » et le suspect le plus facile pour les autorités, qu’in carne en l’espèce l’administration Trump.
Les accords Trump- Al Saoud et le déclenchement de la crise.
Néanmoins, le Président américain est au-courant des crimes de tous les membres du « gang » : l’Arabie Saoudite, la Turquie et le Qatar. Mais les Saoudiens ont rapidement reconfiguré leur statut, ils ont invité Trump à leur Capitale en mai 2017 et ont conclu un marché d’un montant de $460 milliards avec Washington pour la mise à jour de leur « pare-feu » ou plus précisément pour renouveler leur « paquet de défense ». Le Qatar a été mis de côté dans les accords entre la Maison Blanche et les pays du Golfe à Riyad. Le même sort a été réservé à la Turquie qui a choisi récemment d’adhérer au camp russo-iranien, espérant ainsi bloquer toute tentative indépendantiste de la part des Kurdes, un souci qu’Ankara partage avec Téhéran.
Une fois ce deal conclu, les pays du Golfe ont jugé qu’il était temps de mettre à l’écart le Qatar qui était l’Etat le plus impliqué dans le financement du terrorisme, une réalité décrite sur Tweeter par le Président Trump lui-même. Le feu vert a été alors donné pour le déclenchement d’une campagne sous l’égide de Riyad en vue d’isoler Doha et de mettre fin à son rôle nocif dans la région.
Cependant, les pays européens et la Russie avaient leur mot à dire sur le sujet. Aucun pays membre de l’Union Européenne ni la Russie n’a soutenu cet embargo imposé sur le Qatar ou n’a accepté l’idée que Doha soit décrite comme le seul soutien du terrorisme dans la région, surtout que Riyad et Moscou ne sont pas en bon termes.
Sans mentionner les intérêts économiques liant les Européens au Qatar, une question logique se pose : Comment l’Arabie Saoudite, le berceau du Wahhabisme- conduit une coalition contre les pays finançant le terrorisme tandis que cette même idéologie est le fonds de commerce de tous les groupes terroristes islamistes ?!!! L’Occident est conscient que le Qatar, n’était que « l’arrière-cour » des pays du Golfe où le « sale boulot » s’effectuait surtout durant le conflit syrien.
En revanche, en réalité, aux yeux de Riyad et ses alliés, Doha fut prise en flagrant délit dans un acte répréhensible. Le Qatar avait développé ses relations bilatérales avec la République chiite islamique d’Iran, l’ennemi juré du royaume wahhabite. À cet égard, lorsque les treize -impossibles- exigences élaborées par les quatre pays ont été délivrées via le médiateur Koweïtien à Doha, cette dernière a sagement répondu à la question iranienne. Le Qatar a indiqué qu’un des pays imposant l’embargo, précisément les Emirats Arabes Unis, entretiennent d’excellentes relations économiques avec l’Iran. Rappelons que les quatre pays non seulement ont ordonné au Qatar de réduire au maximum ses relations avec l’Iran, mais aussi de refouler les membres de la garde révolutionnaire iranienne présents sur le territoire qatari.
Doha a démenti la présence d’éléments de la garde révolutionnaire iranienne sur son territoire et a demandé à Abu Dhabi d’expulser à son tour tous les ressortissants iraniens de son territoire. Une telle action provoquerait d’énormes dégâts à l’économie émiratie. Pourtant, un délai de quarante-huit heures a été fixé au souverain qatari pour répondre aux treize exigences. Dans une surprenante démonstration de force, le Qatar a refusé ladite liste bien avant l’expiration de l’ultimatum.
Entre-temps le Qatar s’était déjà fait des nouveaux alliés.
– Le Président turc, Recep Erdogan, a décidé d’expédier immédiatement des soldats et des renforts logistiques sur la base militaire turc au Qatar. Erdogan qui a mis en garde les adversaires de Doha contre toute escalade, a envoyé aussi des provisions de nourritures pour les marchés qataris affectés par l’embargo.
– L’Iran a décidé d’initier un pont aérien et une ligne maritime commerciales avec le Qatar, cependant que la question de la garde révolutionnaire iranienne demeure un suspens.
La réaction des superpuissances mondiales en faveur du Qatar.
– En ce qui concerne la Russie, le Ministre qatari des affaires étrangères s’est rendu à Moscou et a rencontré son homologue russe Sergei Lavrov. Au terme de cette rencontre, Mr. Lavrov a affirmé la position de son pays vis-à-vis du conflit en l’espèce, précisant que seul le dialogue et la désescalade sont les voies à adopter par les pays du Golfe face au Qatar.
La question intéressante est la suivante :pourquoi Moscou a décidé d’adopter une politique quasiment en faveur de Doha tout en sachant que le Qatar est fortement investi dans le financement des groupes terroristes que la Russie est en train de combattre en Syrie ? La réponse repose dans une autre question, qui est la suivante : Qui sur terre pourrait être abusé par le mensonge selon lequel l’Arabie Saoudite dirigerait une campagne pour combattre le terrorisme islamiste wahhabite ?!!!
Or, le maître du Kremlin, le Président Vladimir Poutine, qui est le changeur du jeu par excellence au Moyen-Orient, connaît par cœur les dessous des cartes de la région. Il comprend bien le besoin des Saoudiens de déclencher un cercle vicieux d’échanges d’accusations sur la sponsorisation du terrorisme, tandis que la dynastie Al Thani du Qatar réalisait -volontairement- toutes les sales missions qui lui ont été attribuées par l’Occident et l’Arabie Saoudite.
– Quant à l’Union Européenne, et plus précisément l’Allemagne, elle fut réticente à l’égard de l’idée de mettre fin au règne d’Al Thani au Qatar, car Berlin -comme le reste des pays occidentaux- sait que les souverains de ce petit îlot disposent d’une voûte cruciale d’informations levant l’anonymat sur l’identité des individus et des services de renseignements qui fournissaient le financement et l’aide logistique aux groupes terroristes via Doha.
Justement, la campagne saoudienne vise à dissimuler les vrais manipulateurs de ces groupes. Une raison principale qui a poussé Berlin à envoyer son Ministre des affaire étrangères dans les pays du Golfe persique en vue de rencontrer ses homologues à Riyad, Abu Dhabi et à Doha. Les Allemands ont finalement remporté le trophée le moment où les Qataris ont signé un accord avec les renseignements allemands, autorisant le Service Federal de Renseignement à accéder à tous les documents « Top Secret » que détiennent le Qatar. L’explication germano-qatarie de cet accord est : La coopération bilatérale entre les deux pays pour mieux combattre le terrorisme.
…Et après ?
L’ultimatum de quarante-huit heures a expiré, la dynastie Al Thani n’a pas cédé, alors les ministres des pays assiégeant le Qatar se sont réunis au Caire, pour soi-disant prendre des mesures draconiennes. Après de longues heures de discussions pour étudier les positions de la Russie, l’UE et la Turquie, des nouvelles se sont répandues selon lesquelles la Maison Blanche aurait adouci le ton à l’égard du Qatar incitant les pays réunis à recourir au dialogue.
Les Saoudiens étaient hésitant de durcir les mesures prises contre Doha, puisque la dynastie Al Thani a montré à son « boss » (la dynastie Al Saoud) qu’elle est capable de résister et de ne pas se laisser faire, non seulement en se faisant des alliés qui lui fournissent une sorte d’immunité diplomatique et militaire mais aussi en passant du défensif à l’offensif en menaçant Riyad de révéler les vérités sur les Méga-sponsors du terrorisme islamiste dans le monde et non seulement au Moyen-Orient.
La crise durera pour un long moment puisque les superpuissances ont montré qu’elles n’ont pas hâte -au-moins pour l’instant- de voir une escalade dans cette région.
Les gagnants et les perdants de la situation actuelle dans la crise qatarie.
À première vue, il n’est pas évident qui sont les gagnants, surtout que les événements se sont ralentis d’une façon considérable, pourtant il est possible de décortiquer la position actuelle des joueurs principaux dans ce conflit :
– L’Arabie Saoudite, dans la personne de son Prince héritier Mohamed Ben Salman, a effectué une démonstration de force au minuscule îlot du Qatar. Al Saoud a appelé à l’ordre Al Thani dans une opération de recadrage diplomatique et médiatique. Il est opportun de signaler, que là il s’agit de la mentalité tribale désertique de la péninsule d’Arabie. Il faut y avoir une tribu qui domine les autres qui sont géopolitiquement connus sous la dénomination des « pays du Golfe ».
– Le Qatar a échappé de peu à la destruction, la dynastie dirigeante a été sur le point de payer un prix fatal pour son rôle de financement et protection des éléments terroristes qui s’ajoute à son rôle de désinformation par le biais de la chaîne Al Jazeera.
– La Turquie, a réussi à jouer la carte de la menace militaire outre-mer, toutefois la question qui se pose…Pour combien de temps ?
– L’Iran, est évidemment un grand gagnant, puisque la République islamique chiite, a réussi à gagner un allié géopolitique au-sein des pays du Golfe, c’est-à-dire le Qatar. Maintenant, Téhéran a les mains libres pour jouer le rôle de défenseur de la souveraineté de Doha face à « l’agression » de Riyad.
– L’Occident et la Russie : encore une fois les deux camps ont joué les cartes sur la table de jeu du Moyen-Orient. Moscou a démontré -implicitement- aux qataris qu’elle est une capitale alliée sur laquelle Doha peut compter en temps de crise. L’Union Européenne de sa part, a fait comprendre que son rôle de médiateur est important, vu les intérêts économiques qui les lient avec les deux camps belligérants.
– Les Etats-Unis qui disposent de leur plus grande base militaire outre-mer -Al Odaid- au Qatar, ont confirmé la vision de l’administration Trump, « Tout est affaire d’argent pour ce qui concerne les pays du Golfe ». Dès que Doha a commandé l’achat des F-16 américains pour un montant de $4 milliards, la Maison Blanche a décidé d’adoucir le ton à l’égard du Qatar. Néanmoins, ce type de commande doit être renouvelé plus fréquemment par les Al Thani pour garantir la neutralité des USA avant que les Al Saoud versent de leur côté encore des centaines de milliards de dollars dans les caisses de Washington.
– In fine, il existe un perdant dans la situation actuelle, c’est l’Egypte. Si nous examinons les treize exigences soumises au Qatar, nous découvrirons que la quasi-totalité de ces demandes sont relatives d’une façon ou d’une autre aux soucis du Caire envers Doha. Commençant par la demande de fermeture de la chaîne Al Jazeera, passant par la demande d’extrader les terroristes affiliés aux Frères Musulmans abrités par le Qatar et arrivant à l’exigence de minimiser les relations avec l’Iran. L’Egypte -tout comme la Russie- est le seul pays qui n’a jamais soutenu -ni moralement ni physiquement- les groupes terroristes en Syrie ou ailleurs dans la région. Pourtant, Le Caire était un thème principal des reportages d’Al Jazeera dont le contenu était plein d’informations déformées, incitatrices à la violence et l’instabilité de la sécurité interne de l’Egypte. Il est à conclure que la diplomatie qatarie pèse plus avec son argent et sa voûte d’informations concernant le terrorisme islamiste que la diplomatie égyptienne qui n’a pas réussi jusqu’à maintenant à marquer des points considérables dans cette crise. En revanche, pendant que Doha est parvenue à ramener la crise au point de statu quo, elle continue à faire payer Le Caire un prix très cher dans la guerre contre le terrorisme au Sinaï.
La scène géopolitique du Moyen-Orient, va tôt ou tard changer, le temps nous dira qui chutera d’abord ? la dynastie Al Saoud ou celle d’Al Thani ?… Qui sait ? Peut-être les deux subiront le même sort. À suivre.